© Henri Manuel

Louis Aragon « Ce serait vivre pour bien peu s’il fallait pour soi que l’on vive »

Louis Aragon est né à Paris le 3 octobre 1897. Il portera toujours la blessure secrète de ne pas avoir été reconnu par son père.

En 1907, élève à l’école Saint-Pierre de Neuilly, il côtoie Montherlant et les frères Prévert. En deuxième année de médecine, il rencontre André Breton. Mobilisé en 1917, il rejoint le front en 1918 comme médecin auxiliaire. Il connaît l’horreur des combats de la Première Guerre mondiale. Cette horreur, dont on ne revient jamais tout à fait, qui a marqué son œuvre, est à l’origine de son engagement futur pour la paix et une société pacifique.

En 1920, il publie son premier recueil, Feu de joie.

En 1922, il renonce à devenir médecin et fonde avec André Breton et Philippe Soupault le mouvement surréaliste. 

En 1927, il adhère au PC et fait paraître une violente protestation contre l’exécution de Sacco et Vanzetti, où il pose les bases d’une littérature engagée.

Après de douloureuses déshérences existentielles, il rencontre Elsa Triolet qui sera l’amour de sa vie. « Une main nue alors est venue qui a pris la mienne. » Avec elle, un couple mythique va se former, présent dans les grands événements de l’époque, la Résistance, le communisme, la décolonisation, le féminisme, la littérature engagée.

En 1930, Aragon est envoyé en URSS au congrès des écrivains révolutionnaires pour représenter le mouvement surréaliste. Accusé d’anarchisme par le congrès, Aragon se range derrière la ligne orthodoxe du PC soviétique et devient à l’encontre de ses amis surréalistes un parangon du stalinisme. Désormais, la rupture avec le surréalisme est consommée.

En 1939, il est de nouveau mobilisé comme médecin auxiliaire, fait prisonnier en 1940 et parvient à s’évader. Il est, avec Desnos, Eluard, Seghers, et quelques autres, un poète résolument engagé contre le nazisme.

Après la guerre, il va continuer son activité littéraire et militante aux côtés d’Elsa Triolet. Durant ces années, il écrira une œuvre majeure, dirigera la revue Les Lettres françaises. Après le décès d’Elsa Triolet, c’est un autre personnage qui apparaît. Tour à tour mondain, équivoque, jouant sur l’ambiguïté permanente de ses nombreuses postures, il développe des sensibilités contradictoires, indéfinissables où Le mentir-vrai, titre d’un de ses recueils, y tient une place prépondérante. Il fait siens ces mots d’Arthur Rimbaud : « Je est un autre. »

Il meurt le 24 décembre 1982.

Il aura, durant son parcours de vie, révélé à travers son œuvre poétique et romanesque toutes les contradictions qui peuvent cohabiter dans un être humain, confronté avec violence aux désillusions tant historiques que passionnelles.

« Rien n’est jamais acquis à l’homme et quand il croit serrer son bonheur il le broie », disait-il.

Bernard Montini

L’affiche rouge

Vous n’avez réclamé ni gloire ni les larmes

Ni l’orgue ni la prière aux agonisants

Onze ans déjà que cela passe vite onze ans

Vous vous étiez servis simplement de vos armes

La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes

Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants

L’affiche qui semblait une tache de sang

Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles

Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence

Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant

Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants

Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents

Tout avait la couleur uniforme du givre

À la fin février pour vos derniers moments

Et c’est alors que l’un de vous dit calmement

Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre

Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses

Adieu la vie adieu la lumière et le vent

Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent

Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses

Quand tout sera fini plus tard en Érivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline

Que la nature est belle et que le cœur me fend

La justice viendra sur nos pas triomphants

Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline

Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent

Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps

Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant

Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir

Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.

Louis Aragon, dans Le roman inachevé, 1956.

Ce texte mis en musique par Léo Ferré a été interdit sur les ondes jusqu’en 1982. Ces résistants faisaient partie du groupe Francs-tireurs et partisans (FTP), main-d’œuvre immigrée. Ils étaient polonais, hongrois, français, italiens, espagnols, arméniens ; ils ont été fusillés le 21 février 1944 au mont Valérien.