Pablo Neruda : « Le printemps est inexorable »

« Je n’ai pas de roses à vous offrir, seulement des boutons, à vous de les faire fleurir ! »

Pablo Neruda, poète chilien, est né le 12 juillet 1904 à Parral, au Chili, au sein d’une famille de la classe moyenne. Il est inspiré par la nature grandiose de son pays, il écrit dès son adolescence et publie à 19 ans son premier recueil de poèmes, Crépusculaire. Parallèlement à la poésie, il poursuit une carrière diplomatique et devient consul dans plusieurs villes d’Asie et d’Amérique. En 1935, en poste en Espagne, il devient l’ami de Federico Garcia Lorca. Après l’assassinat de son ami par les troupes de Franco, il s’engage avec vigueur dans la défense de la République espagnole, cause de sa révocation. De retour dans son pays, il mène une féconde activité politique et, en 1945, devient sénateur. Dans les années qui suivent, son opposition à la junte militaire du général Videla l’oblige à s’exiler. Commence alors une longue errance dans plusieurs pays d’Europe, en Inde, au Mexique. C’est là qu’il publie son œuvre poétique majeure, Chant général, qui retrace les luttes des peuples d’Amérique latine. En 1952, il retourne au Chili afin d’y poursuivre une activité militante et poétique. En 1969, il soutient la candidature de Salvador Allende, qui après son élection le nommera ambassadeur du Chili en France. En 1971, il reçoit le prix Nobel de littérature. Il meurt en 1973 à Santiago, deux semaines après le putsch du Général Pinochet. Au cours de sa vie, Pablo Neruda aura publié bon nombre de recueils poétiques qui sont des hymnes à la liberté, à la clairvoyance, à l’immense désir des hommes de s’inventer un autre destin, une autre vie où les mots liberté et fraternité seraient les viatiques d’une humanité enfin réconciliée et solidaire…

Bernard Montini

La grande joie

L’ombre que je recherchais ne m’appartient déjà plus.
J’ai la joie durable du mât,
L’héritage des bois, le vent du chemin
Et un jour décidé sous la lumière terrestre.
Je n’écris pas pour que d’autres livres m’emprisonnent
Ni pour des apprentis acharnés à la poursuite du lys,
Mais pour de simples habitants qui demandent
Eau et lune, éléments de l’ordre immuable,
Écoles, pain et vin, guitares et outils.
J’écris pour le peuple bien qu’il ne puisse
Lire ma poésie avec ses yeux ruraux.
L’instant viendra où une ligne, l’air
Qui bouleverse ma vie, parviendra à ses oreilles,
Alors le simple laboureur lèvera les yeux,
Le mineur sourira en cassant les pierres,
L’ouvrier de la pelle se lavera le front,
Le pêcheur verra mieux l’éclat palpitant
D’un poisson qui lui brûlera les mains,
Le mécanicien, propre, à peine lavé, plein
Des parfums du savon, regardera mes poèmes,
Et ils diront peut-être : « C’était un camarade. »
Cela suffit, c’est la couronne que je désire.
Je veux qu’à la sortie des usines et des mines
Ma poésie adhère à la terre,
À l’air, à la victoire de l’homme maltraité.
Je veux qu’un jeune homme découvre dans la dureté
Que j’ai construite avec lenteur, avec des métaux,
Comme une caisse qu’il ouvrira de part en part, la vie,
Qu’il y enfonce l’âme et qu’il touche les rafales qui firent
Ma joie dans les hauteurs tempétueuses.

Pablo Neruda

Poème extrait du recueil Chant général, publié en 1950.