Arthur Rimbaud
L’homme aux semelles de vent
Arthur Rimbaud naît le 20 octobre 1854 à Charleville-Mézières près de la frontière belge, d’un père Frédéric Rimbaud, capitaine d’infanterie, qui abandonne très vite femme et enfants en 1860, et d’une mère née Cuif, dirigeant la famille d’une main de fer, dont la sévérité n’a d’égal que l’austérité et la matérialité.
Dès son plus jeune âge, Arthur fait preuve d’impressionnants dons intellectuels alliés à un tempérament maussade et violent. À l’âge de 13 ans, il a déjà remporté plusieurs prix pour son écriture. Il décroche les lauriers de toutes les humanités, encouragé par son professeur et mentor Georges Izambar, et malgré les désapprobations de sa mère.
À 16 ans, il s’échappe de Charleville et se fait arrêter pour vagabondage et emprisonné. Ramené chez lui, il ne cessera de fuguer, écrivant affamé, avec une assiduité frénétique.
Au printemps 1871, durant la Commune de Paris, il en devient le chantre illuminé et bouleversé. Peu après, il fera la connaissance de Verlaine, avec qui une violente passion amoureuse va naître. C’est à cette époque qu’il écrira son fameux poème : Le bateau ivre.
Ils voyagent ensemble à travers l’Angleterre et la Belgique. Là, il publie le seul ouvrage qu’il n’ait jamais imprimé : Une saison en enfer. Mais leur passion vire au drame. Un soir d’ivresse, Verlaine tire avec un pistolet sur Rimbaud, le blessant au bras. Rimbaud, profondément désabusé, est déterminé à abandonner l’Europe et la littérature. En 1875, il remet à Verlaine Les Illuminations qui seront ses derniers écrits poétiques.
Avec Les Illuminations, Rimbaud a dépouillé le contenu narratif et descriptif du poème pour en faire une ode le privant de tout sens logique, dédié à l’errance, à la douleur et à la rédemption… ce seront ses derniers écrits… à vingt ans il a déjà tout dit.
Après suivront des années frénétiques, parcourant l’Europe, les régions asiatiques, l’Afrique, l’Abyssinie. Il deviendra au fil des années, mandataire pour des sociétés commerciales, pourvoyeur de produits en tous genres, armes, cafetières, couvertures, brodequins, chameaux…
Usé par des marches incessantes, des fièvres, son corps malmené n’y résistera pas. Rapatrié d’Abyssinie en France au printemps 1891, il sera amputé en juillet de la jambe droite à l’hôpital de Marseille et mourra le 10 novembre dans d’indicibles souffrances, dans les bras de sa sœur Isabelle.
Rimbaud a eu le génie des images saisissantes, des associations surprenantes. Il a donné à la poésie l’urgence, la lumineuse détresse de cette volonté avortée d’un ailleurs où serait enfin réalisé le rêve d’être un autre. « Je est un autre ». Il a ceci d’étrange qu’il a commencé d’abord à rêver sa vie avant de la vivre vraiment.
Raclant des souffles coupés aux confins de ses dérades, animé par une prodigieuse nécessité à user sa vie pour traquer les sources d’une éphémère rédemption, il a ouvert tous les horizons d’une poésie absolument moderne. Revendiqué par tous les courants littéraires majeurs, il restera le « voyant » le plus inspiré, traversant tel un ovni, le bruit, la fureur et les rêves des hommes.
Bernard Montini
« La vraie vie est absente. L’amour est à réinventer. »
Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent.
Je me suis dit : laisse,
Et qu’on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t’arrête,
Auguste retraite
J’ai tant fait patience
Qu’à jamais j’oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Ainsi la prairie
A l’oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D’encens et d’ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.
Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n’a que l’image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l’on prie
La Vierge Marie ?
Oisive jeunesse
A toute asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent !
Arthur Rimbaud, Chanson de la plus haute tour, mai 1872