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Troyes : le musée de l’outil et de la pensée ouvrière

Au cœur de la ville, le plus grand musée d’outils au monde est, ici, un hommage au travail manuel et à ceux qui les ont inventés, mis au point, façonnés, utilisés, améliorés. Un musée avec une âme, à la gloire de l’intelligence de la main.

Datant des xviie, xviiie et xixe siècles et regroupés au sein de 65 vitrines, 12 000 outils de façonnage authentiques illustrant quatre familles de métiers laissent le visiteur dans un état de sidération. Il y a environ trois millions d’années, les premiers outils en pierre de silex sont apparus : perçoirs, grattoirs, aiguilles, burins, couteaux, haches. La collection présentée au Mopo (Maison de l’outil et de la pensée ouvrière) n’en est que la continuité. L’occasion de découvrir, outre les truelles, enclumes, rabots, marteaux (700 exemplaires !), tenailles, équerres, des ustensiles aux noms poétiques comme les herminettes, les cochoirs, les écouanes, et autres riflards et tarauds. 

Chaque outil présenté a servi, c’est le témoignage sublimé d’une vie et la preuve indiscutable de l’ingéniosité humaine au service de la perfection maîtrisée. Oui, si d’aucuns ont encore des doutes : les ouvriers pensent ! L’histoire même de ce musée, celle de l’homme qui a présidé à sa création, vaut à elle seule le déplacement.
Le père Paul Feller, jésuite, a consacré sa vie à l’édification de cette collection d’outils et de livres, quêtant à droite et à gauche auprès de donateurs, chiffonniers, récupérateurs, etc., dans le but de préserver et de transmettre aux nouvelles générations le génie créateur et la conscience professionnelle des anciens, et de mettre en lumière le « dialogue de l’homme avec la matière »*. 

Une profession de foi qui résonne plus que jamais à notre époque où le travail a perdu son sens ! Sa pensée, puissante, est inscrite dans les murs de la maison.

Le Mopo a ouvert ses portes en 1974. Il a pris place en plein centre-ville dans le superbe hôtel Mauroy édifié en 1556 par Jean Mauroy, prévôt de la monnaie. Classé monument historique en 1862, il est mis à la disposition des Compagnons du devoir du tour de France qui ont hérité de la collection. Pour mémoire, l’association forme les jeunes aux métiers traditionnels exigeant des savoir-faire pointus. Rejoindre les Compagnons n’est pas chose aisée ! Il faut faire preuve d’une volonté sans faille, de passion et de ténacité pour produire, à la fin de la formation, un « chef-d’œuvre » qui témoignera du savoir acquis au cours du cursus. Le lauréat ne peut que s’enorgueillir d’appartenir à cette corporation d’élite !

Une soixantaine de métiers sont présentés, disparus pour certains. Cordonniers, ferblantiers, gantiers, plâtriers, tailleurs de pierre, couvreurs, chaudronniers, tonneliers, sabotiers, vanniers sont à l’honneur. La scénographie est exceptionnelle ; les outils suspendus, des ambiances et des sons mettent le visiteur en immersion. 

Dans la salle qui lui est consacrée, la philosophie de Paul Feller invite à la réflexion : « C’est gros l’enclume, c’est gros de ce labeur cordial où ces hommes rudes se sont accordés pour façonner un ouvrage capable de défier le temps. […] Pour battre bien le fer sur l’enclume, il faut épouser soi-même le sol comme elle-même qui, par son billot, fait corps avec le cœur de la planète. Alors, on communie avec tous ces gens dont on dit, à juste titre, qu’ils ont les pieds sur terre ». Ou encore : « Pratique, beau, divers, l’outil transpire l’unité de l’homme qui l’a conçu, utilisé, soigné, transmis… Particulier en son utilité, il sue bien davantage l’unité d’un Homme dont tout porte à penser qu’il est devenu faber à force de s’être voulu sapiens », écrit Paul Feller dans son ouvrage L’Outil*. 

Le Mopo accorde un soin tout particulier au jeune public : des livrets jeunesse sont distribués gratuitement, des supports pédagogiques téléchargeables sont à la disposition des enseignants, et des activités sous forme d’énigmes sont proposées tout au long de l’année. 

Quant aux chercheurs et autres passionnés, ils peuvent avoir accès à une bibliothèque unique sur des thèmes variés : techniques, Beaux-Arts, histoire, sans oublier magazines et revues spécialisés. Attention au porte-monnaie dans la librairie spécialisée, véritable caverne d’Ali-Baba !

Occasionnellement, des démonstrations de savoir-faire sont organisées, en présence d’artisans, notamment dans le cadre des Journées européennes des métiers d’art qui ont lieu chaque année à la fin du mois de mars. 

Denise Cabelli

* L’Outil, dialogue de l’homme avec la matière, Paul Feller, éditions E/P/A