Voyage sentimental sur les traces de la Commune

Que reste-t-il de la Commune ? Pas grand‑chose de tangible : des murs, des plaques, des photos. Le piéton mutualiste vous guide sur les lieux où s’est terminée tragiquement la révolte ouvrière qui dura 72 jours.

Revivre les événements, pas à pas, c’est ce que nous proposent Les Éditions libertaires, qui viennent de publier un remarquable ouvrage, Paris 1871. L’histoire en marche. L’auteur, Josef Ulla, instituteur à la retraite issu du monde ouvrier, passionné d’histoire vivante et notamment d’histoire sociale, ambitionne de faire marcher les gens de manière intelligente, sur les traces de ceux qui ont dit « non » et qui rêvaient d’instaurer une république sociale. Pour la petite histoire, ce Ruthénois (habitant de Rodez) ne manque jamais d’exprimer sa rancœur envers l’un de ses compatriotes, un certain colonel Vabre, souvent cité dans les ouvrages consacrés à la Commune. Il s’agit de l’un des plus sanguinaires anti‑communards, coupable d’avoir présidé une cour martiale et fait fusiller 2 000 communards dans la caserne Lobau, située derrière l’Hôtel de Ville. Avec Joseph Ulla comme guide, il suffit de suivre, au gré de vos pérégrinations parisiennes, l’un des 21 circuits pédestres, un par arrondissement, et notamment le plus emblématique, au cimetière du Père‑Lachaise et alentours.

Pour commencer votre périple, rendez-vous dans le xxe arrondissement, au métro Gambetta. C’est à proximité que se trouve la Bellevilloise, première coopérative parisienne, sise au 21 rue Boyer. Elle fut fondée en 1877, au lendemain de la Commune, à l’initiative d’ouvriers dont le projet était de favoriser l’accès à l’éducation politique et à la culture pour tous. C’est aujourd’hui un lieu festif où s’expriment toutes sortes d’initiatives culturelles innovantes, concerts, spectacles, cafés littéraires, restaurant… L’occasion d’y faire une pause avant de poursuivre votre parcours. Une fois entré dans le cimetière, suivez le chemin à gauche, puis tout droit jusqu’au mur des Fédérés. C’est le mur officiel, restauré, sur lequel est apposée une plaque aux victimes. Ce n’est pas le mur qui a reçu les balles et le sang des fusillés, mais il signale la fosse commune où ils sont ensevelis. Juste en face se trouve la tombe de Jean Baptiste Clément, chansonnier, journaliste, syndicaliste et communard, membre du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire. De tout son répertoire, ne demeurent que les deux plus célèbres chansons, Le Temps des cerises et La Semaine sanglante. Réfugié à Londres, il sera condamné à mort par contumace, reviendra clandestinement en France et sera finalement amnistié en 1879. À noter, non loin à droite, la tombe d’Ambroise Croizat, créateur de la Sécurité sociale. 

Le mur de la discorde

En sortant, tournez à gauche, puis encore à gauche, et retrouvez l’avenue Gambetta et le square Samuel‑de‑Champlain, au 18. Entrez, vous trouverez, à gauche, à 25 mètres, le Monument aux victimes des révolutions, datant de 1909, réalisé par Paul Moreau-Vauthier avec les pierres du mur originel des Fédérés et portant les traces des impacts de balles. On y distingue un bas-relief composé de visages fantomatiques taillés dans la pierre. Au centre, une silhouette allégorique représentant la Justice semble vouloir séparer les ennemis. En bas à gauche est gravée l’inscription suivante, signée Victor Hugo : « Ce que nous demandons à l’avenir, ce que nous voulons de lui, c’est la justice, pas la vengeance. » Dès la commande de l’œuvre par la municipalité, en 1907, après la réfection de la clôture du cimetière et pour conserver les pierres d’origine, le regroupement opéré par le titre volontairement consensuel de ce monument, dédié aux « victimes de toutes les révolutions », quel que soit leur camp, au lieu d’être un hommage aux seuls communards, a suscité une intense polémique. Les partisans de la Commune s’opposent donc fortement à l’érection du monument sur le site originel du mur à l’intérieur du Père-Lachaise. Des ambiguïtés qui expliquent que le monument n’a jamais été officiellement inauguré… 

En sortant du cimetière, vous pouvez prendre la rue de Belleville pour le circuit des plaques du souvenir. Ne pas manquer, au 137, la plaque sur la maison de Zéphirin Camélinat, qui remplaça au pied levé le directeur de la Monnaie de Paris, parti rejoindre Thiers à Versailles. Un peu oublié aujourd’hui (il fut pourtant le premier candidat du Parti communiste français à l’élection présidentielle), Camélinat a joué un rôle non négligeable, en assurant l’évacuation jusqu’à la mairie du xiie arrondissement d’environ 30 000 pièces qui ont servi à payer la Garde nationale, les cantines municipales et les services publics. Il a également fait frapper plus de 250 000 pièces de 5 francs, reconnaissables à leur marque représentant un trident placé au revers, à gauche de la lettre d’atelier. Malheureusement, aucun spécimen de cette pièce n’a été retrouvé. Rue Haxo, au numéro 81, l’église Notre-Dame-des-Otages nous rappelle un autre moment sombre, lorsque, désespérés et rendus fous par les exactions des Versaillais, 51 prisonniers extraits de la prison de la Roquette (onze prêtres, l’archevêque de Paris Mgr Darbois, trente-six gardes républicains et quatre civils) sont fusillés par les communards. En guise d’expiation de ce massacre, les jésuites feront transférer derrière l’église, au 51 de la rue Haxo, une grille et une porte, vestiges de la prison de la Grande Roquette, initialement située rue de la Roquette. Les noms des gardes républicains fusillés sont inscrits sur un petit obélisque édifié dans le cimetière de Belleville, accessible par la rue du Télégraphe.
« Gai rossignol et merle moqueur » vous accompagneront tout au long de cette évocation d’un « souvenir que l’on garde au cœur ».

Denise Cabelli et Françoise Janin