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Trieste en toutes lettres

Mystérieux destin que celui de cette ville frontière aux multiples influences latines, slaves, germaniques. Longtemps débouché maritime de l’empire austro-hongrois, elle devient italienne à la fin la Première Guerre mondiale.

Au nord-est de l’Italie, Trieste reste une ville méconnue, réservée, drapée dans son passé glorieux. Loin des hordes débridées qui déferlent sur sa flamboyante voisine, Venise, elle se mérite. Et la récompense est à la hauteur !
Il flotte à Trieste une atmosphère unique, à laquelle les ombres des grands écrivains qui s’y sont pressés ne sont pas étrangères : Italo Svevo, James Joyce, Umberto Saba… Jules Verne y situe le premier chapitre d’un de ses Voyages extraordinaires et sa description précise de la ville laisse penser qu’il y séjourna quelque temps.
Stendhal, nommé consul de France en 1830, n’aimait pas la ville, balayée, l’hiver, par les rafales de la bora, l’équivalent de notre mistral, vent glacial à décorner les cocus. Dans sa correspondance, il évoque les « trois magnifiques rues alignées le long de la mer ; des maisons énormes, fort hautes et à trois étages seulement ».
Dans Venises, son livre testament, Paul Morand livre sa dernière confession et sa volonté d’être enterré à Trieste : « Là, j’irai gésir, après ce long accident que fut ma vie… »
Les premières impressions se concentrent sur l’architecture de la ville, les monuments imposants, héritage de la période autrichienne dont elle a gardé la trace. L’immense piazza dell’Unita d’Italia, l’une des plus grandes d’Europe parmi les places faisant face à la mer : emblématique à plus d’un titre, elle est encadrée de superbes bâtisses, à commencer par l’hôtel de ville, édifié en 1875. Doté d’une tour centrale agrémentée d’une horloge, il fait face à la fontaine des Quatre continents, qui célèbre la grandeur de la ville. C’est depuis son balcon que Mussolini a annoncé à son peuple l’instauration de lois fascistes en 1938. 
Presque aussi impressionnant, le siège prestigieux de style néogrec de la compagnie d’assurances Assicurazioni generali, premier groupe à vocation internationale créé en 1831 : conçu par Eugenio Geiringer, il est caractérisé par un avant-corps central constitué d’une colonnade soutenant les balcons du premier étage. L’entrée se présente comme un grand hall comportant quatre majestueuses colonnes de calcaire.
Pour mémoire, Trieste doit sa bonne fortune à Marie-Thérèse d’Autriche, qui lui accorde le statut très recherché de port franc, dès 1719. Des privilèges et des facilités qui ne manqueront pas d’attirer tout ce que la région compte de commerçants grecs, arméniens, allemands, juifs, illyriens, etc., encouragés à s’y installer, mettant fin à l’hégémonie des marchands de Venise sur la mer Adriatique.
Entre parenthèses, rappelons que Generali compta, parmi ses employés, un certain Franz Kafka, qui n’y restera que dix mois. Mais c’était dans son agence de Prague…
Pour faire bonne mesure, une autre compagnie d’assurances non moins célèbre, la Lloyd, fait appel à un célèbre architecte viennois, Heinrich von Ferstel, pour construire un somptueux palais sur cette même place en 1880. Ce dernier est aujourd’hui le siège de la présidence du conseil régional de la région autonome du Frioul-Vénétie Julienne.
Mais c’est l’ancien palais du gouverneur qui remporte la palme. On le doit à un architecte viennois, Emil Artmann. À certaines heures de la journée, le revêtement en mosaïque de verre de Murano qui recouvre la partie supérieure de l’édifice scintille sous les rayons du soleil, offrant une vue magnifique sur le port et le golfe de Trieste. Il est aujourd’hui le siège de la préfecture. Il est doté de prestigieux salons de réception destinés à accueillir des invités de marque. On ne peut visiter ses intérieurs qu’à certaines occasions.
Il faut déambuler dans la ville jusqu’au Grand Canal aménagé au milieu du XVIIIe siècle. Au détour de la balade, jolies façades et barques colorées se succèdent et on découvre à portée de main les statues de pierre représentant les écrivains célèbres, figés dans une posture inattendue.
Pèlerinage incontournable pour les amoureux de livres, la célébrissime Libreria Antiquaria de l’écrivain Umberto Saba, restée dans « son jus » depuis sa mort en 1957 (pour combien de temps ?). Dans cette échoppe bourrée de vieux bouquins empoussiérés, sont passées les plus illustres personnalités de l’époque.
Mais il est temps de faire une pause après cette longue flânerie, l’occasion de s’imprégner de l’esprit inimitable de cette ville hors du temps dans l’un des cafés triestins, si emblématiques qu’ils constitueraient presque à eux seuls un but de promenade.
Le plus célèbre, le San Marco, est le QG de l’écrivain Claudio Magris, qui y a sa table attitrée. Inauguré en 1912, il a toujours été le lieu de rencontre des intellectuels de Trieste. Il a fait peau neuve en 1997, mais a conservé la décoration primitive inspirée par l’Art Nouveau, moulures au plafond, mobilier en marqueterie, masques peints et médaillons suspendus aux murs, tables en marbre avec pieds de fonte. Le coin librairie offre une sélection d’ouvrages sur Trieste et sa région.
Sur la place d’Italia, le Delli Specchi – café des Miroirs – est le café de la bonne bourgeoisie, qui s’y presse autant pour voir que pour être vue. Son immense terrasse accueille les clients été comme hiver. À l’intérieur, fauteuils et canapés revêtus de velours rouge se reflètent dans les miroirs qui habillent les murs. Enfin l’Antico Caffè Tommaseo est le rendez-vous des hommes politiques et des business men.
Ne vous contentez pas de demander un simple espresso, au risque de paraître ignare ! Pourquoi pas un cappuccino, un macchiato, ou encore un corretto, voire un freddo : autant de concentrés d’italianité !

Denise Cabelli et Françoise Janin

Pour en savoir plus : www.italia.it