Madame Anastasie d’André Gill. Caricature parue en 1874 dans le journal satirique L'Éclipse (n° 299). © DR

Pour un droit à une information indépendante

Le droit à une information impartiale et indépendante des intérêts politiques et commerciaux… semble parfois bien loin. La concentration des médias compromet ce droit. Mais il reste quelques pôles d’indépendance.

Le droit à l’information est un de nos droits fondamentaux. Il n’a pourtant pas de consécration juridique explicite, sinon dans des textes comme la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (article 11) ou, de manière sous-entendue, le préambule de la Constitution de 1946.

La liberté de l’information est inséparable de la liberté de ceux qui la recueillent, les journalistes. Mais celle-ci est souvent mise à mal, certains de ces professionnels sont – c’est arrivé récemment à une journaliste de Disclose – gardés à vue, leur domicile perquisitionné pour connaître les « sources » qui leur ont permis de mener leur enquête, c’est-à-dire de faire leur métier. Ironiquement, c’est le moment que choisit le président de la République pour lancer ses États généraux de l’information, par lesquels il veut contribuer à « protéger l’information libre face aux ingérences ».

Le Canard enchaîné ironise et rappelle qu’aux ingérences sécuritaires (le « secret-défense » brandi pour s’opposer aux enquêtes journalistiques) s’ajoute souvent l’ingérence économique. Les salariés du Journal du dimanche se sont mis en grève quand le propriétaire du titre, Vincent Bolloré, a placé à la tête de la rédaction un journaliste « d’extrême-droite ». Grève qui a été suivie du départ d’une partie de l’équipe.

Ce qui caractérise les médias actuels, c’est que, le plus souvent, leurs actionnaires principaux ne sont pas des patrons de presse, mais des dirigeants de groupes industriels ou financiers. Et ceux-ci ont pour objectif, plus que d’informer ou même de rentabiliser leur engagement financier, d’exercer une influence sur leurs lecteurs, donc sur la société.

Parmi les titres qui ne sont pas contrôlés par des investisseurs capitalistes, il reste La Croix, l’Humanité, Charlie Hebdo… et Le Canard enchaîné.

Pour les autres, on peut rappeler l’existence dans certains titres tels Le Monde ou Libération, de sociétés de rédacteurs et journalistes, qui expriment leur avis et de ce fait limitent le pouvoir des capitalistes propriétaires du journal sur les rédactions et le contenu éditorial.

En 2022, une commission du Sénat alerte sur la concentration des médias, dont elle rappelle qu’elle fragilise : la crédibilité de l’information, les médias étant trop proches du pouvoir politique, des actionnaires ou des annonceurs ; les équilibres économiques, par la création d’acteurs dominants, suscitant des craintes pour le pluralisme et une possible menace pour la souveraineté culturelle de la France.

Des États généraux ambitieux

Destinés à « garantir le droit à une information libre, indépendante et fiable à l’heure du numérique », les États généraux de l’information ont été lancés le 3 octobre dernier. Cinq groupes de travail ont planché sur les défis de la profession de journaliste : Lutte contre la désinformation et les ingérences étrangères, Rôle de l’information dans la qualité du débat démocratique, Espace informationnel et innovation technologique, Citoyenneté, information et démocratie, Avenir des médias d’information et du journalisme seront, en même temps qu’un thème « État et régulation », au menu des échanges qui devraient déboucher sur des propositions de réformes à l’été 2024.

Plusieurs associations syndicales représentatives des journalistes ont d’ores et déjà cosigné une déclaration où ils déplorent que la profession n’ait pas été davantage associée aux travaux des États généraux. Parmi les thèmes abordés, la qualité de l’information tiendra une place centrale, à l’heure où les réseaux sociaux sont une des sources majeures d’information pour les jeunes – avec les risques de désinformation inhérents à ce médium. Face à « des objectifs trop larges et flous, des acteurs insuffisamment représentatifs et des intérêts trop divergents », le Fonds pour une presse libre et 80 médias et organisations, parmi lesquels Mediapart, ont décidé d’organiser des États généraux de la presse indépendante. Une façon de « réaffirmer [leur] attachement à une indépendance de tous les pouvoirs. » Dans le même temps, la CFDT demande de renforcer l’autonomie des rédactions et rendre plus strict le contrôle du respect du statut des journalistes, et la CGT le retour d’aides à la presse renforcées pour les entreprises de presse en difficulté ou à faibles ressources publicitaires non adossées à des groupes industriels ou bancaires.

Alain Noël

S’il n’en reste que quelques-uns

Le Canard Enchaîné revendique une totale indépendance. Vis-à-vis de la publicité et, donc, à l’abri des pressions qui vont avec, il vit du produit exclusif de ses ventes et appartient à ses salariés. À cela s’ajoute l’indépendance politique. « Le Canard n’est ni de gauche, ni de droite, il est d’opposition », résumait un de ses anciens directeurs.
Mediapart est un journal d’information numérique, indépendant et participatif. Depuis 2019, le capital de Mediapart est totalement contrôlé par le Fonds pour une presse libre (FPL). Ce qui garantit sa totale indépendance économique, son capital est à l’abri de tout intérêt privé ou particulier.
Quant à Mediacités, c’est un journal français dédié à l’investigation fondé en 2016 par un collectif de journalistes. Ses équipes couvrent les villes de Lille, Lyon, Toulouse et Nantes. Il refuse toute publicité et repose sur ses lecteurs. Il revendique « d’enquêter sur les dérives des pouvoirs locaux, politiques, économiques, sportifs, ou associatifs ». Avant la crise du Covid, le site affichait 140 000 visiteurs uniques par mois. En mars 2020, la fréquentation a atteint 375 000 visiteurs uniques. Pendant la période, Mediacités a enregistré 447 nouveaux abonnés (plus de 3 550 au total).