La réforme des retraites : une équation qui semblerait insoluble
À l’issue de la deuxième conférence du dialogue social qui s’est tenue le 26 octobre à l’hôtel Matignon, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé un nouveau report de la réforme de l’assurance chômage, ainsi que le maintien à l’ordre du jour de la réforme des retraites, qui devrait de nouveau être discutée au premier trimestre 2021.
On s’en souvient, la réforme du régime des retraites devait être une des réformes phares du quinquennat d’Emmanuel Macron. Mais lorsqu’elle avait été présentée une première fois, elle avait fait quasiment l’unanimité… contre elle. Le président de la République, après avoir annoncé que les négociations allaient reprendre, les avait suspendues en raison de l’épidémie de la Covid-19 et du confinement qui avait été mis en place.
Il reste qu’Emmanuel Macron a estimé cet été que notre pays ne pouvait pas « faire l’économie » de cette réforme. Par ailleurs, le secrétaire d’État chargé du dossier (ainsi que de celui de la santé au travail), Laurent Pietraszewski, a affirmé que la réforme du régime des retraites se ferait « avant la fin du quinquennat ».
Le Premier ministre, Jean Castex, nommé le 3 juillet, a quant à lui promis le « maintien » de la réforme, même s’il s’est engagé à adopter une nouvelle méthode, distinguant la réforme dite systémique – destinée à l’établissement d’un système universel – et le volet financier. Dans un courrier qu’ils ont adressé au Premier ministre le 14 octobre, les principaux leaders syndicaux (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC et CFTC) ont suggéré au gouvernement de reconnaître « que l’heure n’est pas de remettre à l’ordre du jour le sujet des retraites ».
Une réforme décalée mais maintenue
À l’issue de la deuxième conférence du dialogue social, le 26 octobre, l’exécutif a annoncé un report de trois mois de la réforme de l’assurance chômage (dont la mise en œuvre se fera au 1er avril 2021), mais n’a pas mentionné celle des retraites. Il semble cependant qu’un nouveau calendrier soit en préparation, qui remette le dossier à l’ordre du jour fin 2020, ou encore début 2021.
Quelle est la situation ? Selon une récente note d’étape pour le Premier ministre du Conseil d’orientation des retraites (COR) qui précède son rapport annuel attendu pour fin novembre, le déficit de notre système de retraites atteindra au moins 25 milliards d’euros cette année. Il devrait ensuite remonter à 10 milliards d’euros en 2021, avant de se creuser de nouveau jusqu’à 13 milliards d’euros en 2024. Le document du COR précise les prévisions publiées en juin dernier. Le Conseil tablait alors sur une perte de 29,4 milliards sur l’année 2020. Mais le manque à gagner pour l’économie causé par la Covid-19, ainsi que ses conséquences (hausse du chômage, recours massif à l’activité partielle, chômage partiel), en même temps que les reports et exonérations de cotisations diverses, « ont eu un impact massif sur les ressources du système ».
Certes, le gouvernement espère pour 2021 un rebond de l’économie française qui apporterait une amélioration des comptes, la perte étant ramenée à 10,2 milliards d’euros. Les experts s’attendent toutefois à ce que cette évolution positive ne dure pas, et le solde pourrait ensuite se dégrader encore, atteignant 11,6 milliards en 2022, 12,1 milliards en 2023, et enfin 13,3 milliards pour 2024. Ces prévisions déjà opérées avant la crise de la Covid-19 imposeraient un besoin de financement supplémentaire qu’on estime à « un peu moins de 5 milliards par an » dès l’année prochaine.
Il est à noter que la situation de tous les régimes de retraite n’est pas la même. Si on prévoit que l’Agirc-Arrco (assurance complémentaire du secteur privé) et le FSV (prestations de solidarité) seront proches de l’équilibre en 2024, le besoin de financement de la Caisse nationale d’assurance vieillesse salariés (Cnav) représenterait à la même date 0,3 % du PIB, et celui des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers (CNRACL) 0,1 % du PIB.
Alain Noël
Pendant la pandémie, les menaces subsistent
Ajournée à cause de la Covid, la réforme des retraites n’est pas abandonnée. Après Emmanuel Macron déclarant son urgence, Jean Castex, au 75e anniversaire de la Sécu, a affirmé : « Nous ferons cette réforme. » Et, fin novembre, Bruno Le Maire y a vu une des solutions pour rembourser les milliards dépensés durant la crise sanitaire (une autre piste, à l’étude, serait de baisser les pensions de réversion). Le 4 décembre, Élisabeth Borne a martelé que la priorité absolue était la situation sanitaire et ses conséquences économiques et sociales. Les retraites, ce serait plus tard – dans « l’agenda social de 2021 ». Position identique pour le président de la République, qui a indiqué, lors d’un déjeuner avec les sénateurs, qu’il y avait « d’autres priorités avant d’en reparler ». Mais les menaces persistent. Ainsi, lors de l’examen du budget de la Sécu en novembre, le Sénat a voté un amendement prévoyant de repousser l’âge de départ en retraite à 63 ans en 2025, d’allonger la durée de cotisation à 43 ans pour la génération née en 1965. Enfin, la Commission sur l’avenir des finances publiques, que vient d’installer le Premier ministre, et que préside Jean Arthuis, fera des propositions d’ici février. Parmi les dix experts qu’elle comprend, se trouve l’ancienne ministre Marisol Touraine, qui proposait en 2014 d’allonger progressivement la durée de cotisation.
Le spectacle lourdement frappé
Le confinement lié à la Covid-19 a lourdement impacté les métiers du spectacle vivant et du cinéma. L’exception que demandait la ministre de la Culture n’a pas été retenue, alors même que
le secteur apparaît comme « essentiel ».
De l’avis des professionnels du spectacle, leur situation est catastrophique. Le premier confinement a « arrêté tout, note Claude Michel, ancien secrétaire adjoint de la Fédération des Spectacles CGT. Le manque à gagner est très important, dans cette crise inédite ». Le couvre-feu a pu être pallié dans une certaine mesure, en avançant à 18 h 30 l’heure des spectacles. L’impossibilité de jouer se double d’un désespoir économique et humain…
Et les mesures prises par les pouvoirs publics ne semblent pas à la hauteur des enjeux, d’autant qu’une grande partie des aides va au patrimoine. « Deux milliards sur les 100 milliards annoncés, c’est dérisoire ! Sans compter qu’on aidera les grandes structures plus que les plus fragiles. » Des aides comme le chômage partiel ont été proposées, mais « le gouvernement n’a pas vu l’importance de la culture. La culture doit émanciper, donner un regard critique – mais elle est également importante pour l’économie ! »
Il juge donc indispensable que s’instaurent « un vrai dialogue et une concertation. Il faudrait un plan de relance, et une participation des collectivités locales – avec une incitation de l’État ».
Professeur de théâtre et metteur en scène, un autre professionnel juge que la crise « va obliger à se réinventer, à chercher d’autres solutions… » et que « la culture existera toujours, car elle est indispensable. Sous quelle forme, c’est à voir. Le numérique est un outil formidable. La culture crée la rencontre avec l’autre… Il faut s’interroger, imaginer d’autres formes d’exercice de nos métiers ».
Mais, dans les professions du spectacle, le moral n’y est pas.
Robin Renucci, directeur des Tréteaux de France, rappelle que durant la crise les professions du spectacle ont « fait preuve d’une énergie et d’une inventivité à toute épreuve pour poursuivre [leurs] missions de service public en modifiant le travail dans [leurs] lieux, les conditions d’accueil, les horaires… Nos lieux sont prêts à continuer de partager l’art, sous toutes ses formes, dans le respect des conditions sanitaires. Le confinement est aussi l’occasion de redonner ensemble une place concrète à l’expérience esthétique sur un autre temps que celui de la sortie culturelle ». Il demande qu’on évite « un confinement mental ». Pourvu que la réouverture des salles de spectacles ne s’accompagne pas d’un couvre-feu trop strict, qui empêcherait les séances du soir, et donc « empêcherait toute réouverture », estiment le Syndicat national du théâtre privé et la Fédération nationale des cinémas français dans un communiqué.
Une invention sociale : la Sécu
Il y a 75 ans, le peuple français se dotait de la Sécurité sociale. Une formidable avancée issue du Conseil national de la Résistance, toutes tendances politiques confondues, dans son programme, le bien nommé « Les jours heureux ».
Car il s’agissait de faire entrer dans les mœurs que chaque travailleur puisse, au cours de son parcours professionnel ou à l’issue de celui-ci, se soigner quels que soient ses moyens et finir ses jours dignement grâce à la retraite, ainsi que la prise en compte des accidents du travail, des maladies professionnelles et des allocations familiales. Comme toujours, le patronat se montra plus que réticent, mais sa conduite peu reluisante pendant l’Occupation l’amena à la raison et il dut financer la réforme de concert avec les salariés. Cela s’appelle la solidarité nationale.
C’est Ambroise Croizat, ministre communiste du Travail, qui porta ce projet ô combien ambitieux ! Pierre Laroque, haut fonctionnaire et résistant, étant chargé de le mettre en forme. La chose ne fut pas simple face aux résistances des corporations professionnelles instaurées par Vichy. Mais, de ce jour, on en finissait avec les détresses du monde ouvrier évoquées par Zola, au point qu’aujourd’hui encore le système de protection sociale français se classe loin devant celui des autres pays développés et constitue dans les crises récentes un amortisseur capital à une paupérisation généralisée.
Mais si « la Sécu c’est la santé »,comme on l’entend parfois dans les cortèges, il faut la défendre ! Rappelons qu’en 1967, les caisses de la Sécurité sociale, jusque-là gérées par les salariés, doivent faire de la place au patronat à hauteur de 50 %. Depuis, les politiques libérales des gouvernements successifs n’ont eu de cesse d’assécher ses financements, comme l’exonération des cotisations des entreprises, les licenciements boursiers ou le chômage de masse.
On comprend que le « trou » de la Sécu n’est qu’une chimère savamment orchestrée pour diriger les citoyens vers une couverture privée : les assurances !
Les mutuelles, les vraies, comme la nôtre, à but non lucratif, méritent qu’on les défende. La vigilance est de mise pour le bien-être de tous, tout au long de la vie : à chacun selon ses besoins, à chacun selon ses moyens.
Jean-Pierre Moreux, administrateur