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Maisons-Alfort, joyau méconnu du Val-de-Marne

 Les bords de Marne n’exercent plus autant d’attraits qu’en cette fin du XIXe siècle, lorsque guinguettes et cafés attiraient les Parisiens venus s’encanailler. À tort : les passionnés d’art et d’architecture, les curieux peuvent découvrir, en métro et à pied, ou à bicyclette, un ensemble admirable de monuments classés.

 Sur la ligne 8 du métro, les voyageurs connaissent, au moins de nom, la station « Maisons-Alfort – École vétérinaire ». Et pour cause : l’École nationale vétérinaire est la deuxième école de formation à la profession au monde ! Fondée en 1765, sous le règne de Louis XV, elle doit sa réputation à l’anatomiste Honoré Fragonard (cousin du peintre Jean-Honoré) et aux méthodes de dissection et de conservation qu’il pratiquait. Des visites de l’école sont organisées pendant les journées du Patrimoine et pour les groupes de plus de 10 personnes : musee@vet-alfort.fr.

En revanche, le musée Fragonard (photo 2)est ouvert au public tout au long de l’année.
La visite vaut le déplacement ! 4 200 pièces dont les célèbres écorchés, momies humaines et animales conservées grâce à l’injection d’une mixture faite de graisse animale, de cire et de térébenthine, et recouvertes de vernis. Les curieux pourront s’extasier sur le mouton à six pattes, s’évanouir de peur dans la galerie des horreurs avec, notamment, le « cavalier de l’Apocalypse » halluciné sur son cheval en plein galop, ou encore l’homme à la mandibule brandissant une mâchoire animale et le groupe de trois fœtus humains conservés dans des bocaux. Âmes sensibles s’abstenir ! Pour retrouver la paix de l’âme, direction l’église Sainte-Agnès, rue Nordling.

Édifiée en 1933, l’église, classée Monument historique depuis 1984, est exemplaire de la période Art déco, un chef-d’œuvre d’architecture à tous égards, à commencer par le savoir-faire et le talent des bâtisseurs qui ont su exploiter au mieux un espace contraint, cerné d’habitations. Derrière la superbe porte en chêne ornée de huit panneaux de cuivre repoussé, on est saisi par la majesté des lieux, les sublimes compositions en fer forgé dues à Richard Desvallières dont la croix et le coq du clocher, le couvercle des fonts baptismaux, les grilles du baptistère, l’autel de la Vierge, le devant des tuyaux d’orgue, les magnifiques verrières réalisées par Max Ingrand, dont l’exécution s’inscrit dans la tradition des maîtres verriers du Moyen Âge.

L’Art nouveau et l’Art déco irriguent la totalité de Maisons-Alfort avec une spécificité : l’utilisation
de la brique silico-calcaire et celle dite de « laitier » à base de chaux. Les promeneurs ne manqueront pas de s’arrêter au hasard de leur pérégrination avenue Charles-de-Gaulle, rue Pasteur, rue de Grenoble, rue Renard, avenue de la République, pour admirer les façades des maisons, sans oublier les ferronneries typiques. Un arrêt prolongé s’impose square Dufourmentelle, un ensemble de logements dits « sociaux » (photo 3) qui ne manquera pas de faire des jaloux ! Le maire de l’époque,
Léon Champion, n’a pas volé son nom : c’est véritablement le champion du bon goût et du désir de mettre le « beau » à la portée de tous. L’édification des « HBM » (habitations à bon marché ), en 1927, est confiée à deux architectes récompensés « Second Grand Prix de Rome », André Dubreuil et Roger Hummel. Quelque six cents appartements, une cour centrale magnifiée par un jardin à la française et un élément statuaire central représentant « Le Petit Chaperon Rouge » unanimement apprécié.
Les chanceux s’enorgueillissent d’y résider ! Dans la foulée, le maire passe commande de deux groupes scolaires aux deux partenaires : Jules Ferry et Condorcet. On ne peut hélas les apercevoir que de l’extérieur et c’est bien dommage. On peut cependant admirer les façades en pâte de verre blanche et rouge vénitien, les portes en verre gravé, les vitraux illustrant les fables de La Fontaine, une sculpture en bas-relief représentant les contes de Perrault. Les deux établissements sont inscrits à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques. 

Les plus anciens verseront une larme en souvenir d’une boisson emblématique presque oubliée, un apéritif célèbre que les « moins de 20 ans ne peuvent pas connaître », même (surtout ?) dans les bars à la mode : la Suze (photo 4), à base de gentiane, à l’amertume prononcée. Les passants qui longent l’avenue du Général-Leclerc sont loin d’imaginer l’importance de la distillerie, fondée en 1855 par Fernand Moureaux, La Suze, ainsi nommée en hommage à sa belle-sœur Suzanne. La célèbre bouteille dessinée par Henri Porte n’a pas changé. La liqueur, qui titrait à 32° à l’époque ne dépasse pas les 16° aujourd’hui ! Seule la façade de l’usine a été conservée. Autre spécialité aujourd’hui disparue, également fabriquée à Maisons-Alfort, les biscuits Gondolo qui enchantèrent les enfants des baby-boomers. 

On mettra à profit la lecture de l’album exhaustif et passionnant publié par les éditions AAM, sous la direction de Maurice Culot et Charlotte Mus : Maisons-Alfort, 1900-1930, Art Nouveau, Art Déco.  Des visites (trop rares) sont organisées par le Comité départemental du tourisme du Val-de-Marne.

Denise Cabelli et Françoise Janin

www.tourisme-valdemarne.com

Remerciements aux éditions AAM qui ont bien voulu nous céder les droits de reproduction des photos qui illustrent cet article.