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La pauvreté, encore aggravée par la crise sanitaire

N’en déplaise aux tenants du ruissellement (plus il y a de riches, plus tout le monde s’enrichit), c’est la pauvreté qui s’étend, et non l’opulence. Et la crise sanitaire de ces deux dernières années a encore aggravé la situation des plus pauvres.

Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le seuil de pauvreté monétaire est fixé à 60 % en dessous du niveau de vie médian. Il s’établissait en 2019 à 1 063 € par mois. 

En France métropolitaine, le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté s’élevait à 9,3 millions. Mais, en incluant les communautés et départements d’outre-mer, on atteint le chiffre de 10,1 millions de personnes touchées. Sans surprise, les chômeurs (38,9 %) et les familles monoparentales (32,8 %) le sont le plus. Autre constatation, en 2019, 31,5 % des immigrés sont pauvres (en particulier ceux nés en Afrique : 39,2 %). 

En 2018, le taux de pauvreté s’élevait à 14,8 % de la population. Il était en augmentation de 0,7 point par rapport à 2017. La baisse des allocations logement, induite par la réforme de la réduction du loyer de solidarité, explique cependant une part importante de cette hausse. Selon une estimation avancée, réalisée à l’automne 2019, la hausse du taux de pauvreté serait réduite de 0,4 point. Le taux de pauvreté a été à son minimum (au cours de ces vingt dernières années) en 2004, à 12,7 %. Il est ensuite remonté entre 2005 et 2007, puis plus fortement après la crise économique de 2008. Après une baisse en 2012 et 2013, il a peu varié entre 2014 et 2017. La crise sanitaire a bien sûr rebattu les cartes.

Toujours selon les données de l’Insee, la moitié des personnes pauvres avait un niveau de vie inférieur à 855 € mensuels en 2018 (+ 0,4 % sur un an). L’intensité de la pauvreté est stable à 19,6 % en 2018. Sur une longue période, elle a progressivement diminué de 1996 à 2002 et varié depuis entre 19 % et 20,1 %, exception faite pour un point haut en 2012 à 21,4 %. Il apparaît que, parmi les actifs, 11 % sont en situation de pauvreté monétaire : c’est le cas de 37,8 % des chômeurs, contre 8,4 % des personnes en emploi. En 2018, le taux de pauvreté des retraités a augmenté nettement (+ 1,1 point) pour s’établir à 8,7 %, dépassant ainsi celui des personnes en situation d’emploi. Cette hausse est majoritairement portée par l’augmentation du taux de pauvreté des personnes seules âgées de 65 ans ou plus (+ 2,1 points). Pour les autres « inactifs », dont les étudiants, le taux de pauvreté est nettement plus élevé : 32,7 %. Enfin, les enfants sont également fortement frappés par la pauvreté, puisqu’en 2018, plus d’un enfant de moins de 18 ans sur cinq vit au sein d’une famille pauvre.

Après la crise sanitaire

Ainsi que le note le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), la crise sanitaire due à la Covid-19 a été « le révélateur d’une pauvreté démultipliée ». En 2020 et 2021, des situations de pauvreté qui préexistaient ont été aggravées, nombre de personnes ont été poussées vers la précarité. Le CNLE identifie plusieurs points sur lesquels peuvent se cristalliser les difficultés. Par exemple, si une diminution (et parfois des ruptures prolongées) d’activité a eu lieu, particulièrement dans le cas de travailleurs indépendants, intérimaires
ou en contrat à durée déterminée. Une partie grandissante de la population a du mal à se nourrir, ce dont témoigne la hausse du nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire. On a pu constater que les inégalités, en ce qui concerne les conditions de logement, sont de plus en plus fortes. Dans le même temps, la crise sanitaire rend plus difficile l’accès aux services publics et aux droits sociaux ; elle met également au jour des inégalités sociales dans le domaine de la santé, en particulier pour l’accès aux soins et l’équipement des territoires. Enfin, crise et confinements renforcent le sentiment de perte de repères et d’exclusion. Une majorité de jeunes « se perçoit comme une jeunesse sacrifiée » ; quant aux situations de violences conjugales ou intrafamiliales, elles ont parfois pu être exacerbées par les conditions de logement. 

Le baromètre Ipsos du Secours populaire sur la pauvreté va dans le même sens. Il montre que 33 % des Français ont subi une perte de revenus à la suite de la crise sanitaire de la Covid-19. Depuis le premier confinement, le Secours populaire a dû faire face à une augmentation de 45 % des  demandes d’aides. La crise sanitaire, qui a évolué en crise économique et sociale, frappe plus durement les plus démunis. Beaucoup, autrefois à l’abri du besoin, ont perdu leur emploi et sont tombés dans la précarité. C’est le cas de beaucoup de familles monoparentales, de personnes âgées, d’étudiants, ou encore d’intérimaires et de travailleurs indépendants. La baisse importante de leurs revenus les contraint à solliciter de l’aide. Et pendant ce temps… les plus riches sont devenus encore plus riches. Et on n’a toujours pas de nouvelles du ruissellement, qui devait améliorer – quasi automatiquement – le quotidien des moins favorisés.

Alain Noël

Une catastrophe silencieuse

C’est une catastrophe qui s’est produite « à bas bruit, alors que tout le monde l’avait annoncée », dénonce l’hebdomadaire Politis. Selon lui, depuis le début de la crise sanitaire, 1 million de Français et Françaises ont basculé dans la pauvreté. Et, alors que les acteurs de la solidarité demandent « une hausse des minima sociaux à un niveau permettant de vivre décemment et l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans », c’est l’inaction qui prévaut, toujours selon l’hebdomadaire qui dénonce l’affaiblissement de l’idée de solidarité : « À peine 0,8 % du plan de relance est consacré à la pauvreté. » La doctrine officielle semble être que « c’est par le travail, et le travail seulement, que les pauvres doivent s’en sortir, alors que les moyens sont insuffisants pour un accompagnement digne de ce nom et que l’emploi manque cruellement ».