Armand Gatti, un utopiste de notre temps
« J’ai toujours cru que, par la beauté des mots, on pouvait changer le monde ».
Gatti est comme cet homme oiseau qui chante pour dire à la fois l’endroit où il n’est pas encore, et en même temps occupant tous les lieux du monde, là où ça bouge, là où ça se tend, là où ça s’affronte, là où l’homme entreprend un combat essentiel, celui de sa survie, celui de son imaginaire, celui de son émancipation, de sa libération envers tous les dogmes, toutes les aliénations, toutes les barbaries.
Gatti c’est aussi l’homme du monde, un monde à contester, à réinventer, à imager, à donner à voir, à creuser dans son souffle, le pur imaginaire de l’homme actif au cœur des éléments qui le construisent. Gatti ce sont les particules élémentaires essentielles, le combat des oubliés, ceux qui payent avec ce qui leur manque, les convulsions de l’histoire, et en même temps la respiration stellaire d’un Galilée découvrant, bouleversé, la rotation de la Terre.
Il y a chez Gatti, comme chez Brecht, une volonté de faire participer le spectateur afin de modifier son regard, un théâtre d’agitation public où le sens et la forme empruntent les chants les plus forts de la condition humaine, restituant ainsi une vision de l’homme multidimensionnelle.
Gatti naît le 26 janvier 1924 à Monaco, d’un père éboueur et d’une mère femme de ménage. Sa vie sera une suite de combats au cœur de l’histoire contemporaine. Engagé dans la résistance en 1943, il est arrêté et livré à l’armée allemande qui le déporte à Bordeaux dans un camp de travail. Dans le maquis, il a découvert le pouvoir magique des mots à travers Rimbaud, Gramsci, Michaux. Il s’échappe d’un camp de travail, revient dans son maquis en Corrèze puis est envoyé à Londres où il s’engage comme parachutiste. Après la guerre, devenu reporter, il va sillonner la France et le monde, rendre compte des luttes, des oppressions, des massacres qui ravagent le monde, du Guatemala à la Chine, de l’Algérie à l’Allemagne, ses reportages lui vaudront le prix Albert-Londres en 1954. Il porte en lui, au travers de son activité cinématographique, théâtrale, poétique, la nécessité d’un autre monde plus juste, d’une « parole errante » où l’homme pourrait enfin devenir la vraie conscience de lui-même, l’acteur véritable de son destin. À la fin des années soixante, après avoir été joué dans de nombreux théâtres en France et en 1966 au TNP, il sera interdit sur ordre du gouvernement pour sa pièce La Passion du général Franco. Rompant avec le théâtre traditionnel, il va s’engager dans un travail de création avec des marginaux qui deviennent les porteurs de ses textes dont il dit qu’ils ont été écrits avec eux.
En 1988, il reçoit le grand prix national du théâtre et en 2013 celui de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Actif jusqu’au bout, il décédera en avril 2017. « L’infini est une région, il faut s’y diriger », disait-il passant de la parole errante à la parole infinie…
Pour le centenaire de la naissance d’Armand Gatti, retrouvez tous les projets 2024 sur www.armand-gatti.org
Bernard Montini
La part en trop
Lui dans sa démesure.
Nous derrière cette démesure
le suivant (image par image) sans jamais le trouver
mais sachant qu’il n’y a pas d’autre route
pour se rendre sur les lieux
de la bataille aux dizaines d’identités
que celle du passeur.
(Une part libertaire en exil aux quatre coins du monde
une part combattante sur l’horloge espagnole
une part émigrée vers d’autres combats
une part emprisonnée dans les passages des montagnes
une part coincée dans les strophes de l’Internationale…)
Chaque fois il y a une part en trop.
Celui qui vient de l’autre côté du lac
Le spectateur peut-il à travers les morts de la guerre civile plantés aux quatre coins du monde devenir son propre spectacle ?
Une part alouette montant à la verticale des lieux de la tuerie
une part oiseau migrateur faisant le tour du monde
une part rouge-gorge dans la rigueur hivernale.
Toujours une part en trop.
Armand Gatti