Les ouvriers du livre et la Commune de Paris

Deux figures iconiques, celles de Jean Allemane et d’Eugène Varlin, ne doivent masquer l’engagement d’hommes et de femmes du livre dans cet épisode révolutionnaire parisien. En même temps, ne tombons pas dans un excès inverse, qui prétendrait que tous les ouvriers du livre ont été d’ardents communards.

Il semble bien que, d’après les chiffres fournis par les travaux de l’historien Jacques Rougerie, dans leur globalité, les ouvriers du livre aient participé, dans des proportions identiques aux autres corps de métier, à l’œuvre communaliste. Mais ils dépassent ces proportions en occupant plus de postes à responsabilité dans l’administration municipale, et surtout dans la Garde nationale. Leurs capacités à lire et à écrire surtout, ainsi que leur expérience syndicale, leur ont permis d’être élus ou mandatés plus que d’autres à des postes de commandement. Avant de parler de l’action héroïque de quelques-uns – choisis d’une manière forcément injuste pour satisfaire les limites de ce texte –, rappelons cette évidence que les gens du livre ont d’abord beaucoup travaillé durant les 72 jours que dura la Commune de Paris. En plus des journaux existants qui continuèrent de paraître, du moins au début, se créèrent de nombreux titres qui connurent des fortunes diverses, mais dont certains eurent des tirages conséquents : Le Cri du Peuple, Le Mot d’ordre et Le Père Duchêne cumulaient plus de 150 000 exemplaires. Il fallut également faire fonctionner les imprimeries de labeur, qui fournissaient notamment tous les nouveaux documents nécessaires aux multiples décisions prises par l’assemblée, élue le 26 mars 1871, ainsi que deux éditions quotidiennes du Journal officiel. C’est à l’Imprimerie nationale qu’eu lieu une révolution réelle du quotidien, avec la mise en place d’une nouvelle organisation de travail, qui marqua l’histoire de l’entreprise, mais, au-delà, prouva que l’on pouvait travailler autrement. Ce qui était dans la tête de certains militants – une organisation du travail libérée de la contrainte – se traduisait dans les faits, en dehors des coopératives et du travail en commandite, par la réalisation de grandes quantités de bons produits. L’Imprimerie nationale, située alors rive droite, à côté des Archives nationales, fut prise dès le 18 mars, en fin de journée, par le 167e bataillon de la Garde nationale, dont Louis Debock, compositeur typographe, est lieutenant. Immédiatement, il en assure la direction, épaulé par son fils Georges et André Alavoine, typographe également. Ils durent remplacer la direction, mais également les cadres et l’ensemble des employés qui fuirent à Versailles. Ce sont les ouvriers restants, 800 sur 900, qui votèrent. L’autoritarisme et le système des amendes furent supprimés. L’IN imprima 399 affiches, à 600 exemplaires chacune, jusqu’au 25 mai, en plus des travaux traditionnels. Les bibliothèques parisiennes furent confiées tardivement à un compositeur devenu journaliste, Benjamin Gastineau.

Des typographes au combat

Si les ouvriers du livre travaillèrent beaucoup, ils se battirent également. Est connue l’histoire du « bataillon de typographes », notamment grâce au travail de Bernard Boller. Le 136e bataillon de la Garde, formé dès septembre 1870, fut envoyé au massacre le 19 janvier 1871 par les officiers du « gouvernement de la Défense nationale ». Les mêmes incompétents, issus des écoles militaires de classe, avaient fait décimer une autre unité de la profession, les Francs-tireurs de la presse, composée d’une majorité de journalistes, lors d’une bataille au Bourget (la première, du 28 au 30 octobre 1870). Le 136e se reconstitua et eu un parcours glorieux durant la Commune, de la sortie des 3 et 4 avril sous la direction du courageux Émile Duval à la Semaine sanglante. Le bataillon a compté jusqu’à 12 compagnies, 1 418 hommes, dont près de la moitié furent typographes. Une autre unité moins connue se battit avec constance et audace, c’est le « Corps franc des tirailleurs éclaireurs », au nombre de 1 400, dont près de la moitié composée d’ouvriers. Il fut commandé à sa création par le gendre du chef militaire Jules Bergeret, puis heureusement passa sous l’autorité d’un typographe, Julien Morel. Avec le travail pour la cause et la lutte armée, il y a également l’activité politique dans l’assemblée, les administrations et les clubs, qui mobilisent sans relâche le peuple de Paris. Les femmes, qui n’avaient pas le droit de vote et ne furent donc pas élues à la Commune, prirent une place essentielle dans les assemblées populaires et les clubs. L’une d’entre elles commence à sortir de l’ombre : il s’agit de Nathalie Lemel, libraire bretonne qui devint brocheuse et militante à Paris, aux côtés d’Eugène Varlin. Elle organisa la vie à l’arrière et fut notamment à l’origine de l’assemblée des femmes, qui ne put se tenir à cause de l’entrée des forces versaillaises. Elle fut déportée avec Louise Michel. Sa vie, comme d’autres, fut remplie d’espoirs et de sacrifices. À son retour de Nouvelle-Calédonie, le journaliste Rochefort l’embaucha aux abonnements de son titre, L’Intransigeant, où elle était colleuse-bandeuse. Elle quitta son emploi lorsque Rochefort soutint le général Boulanger. Elle termina sa vie dans la plus grande misère.

Marc Norguez