Mont Ventoux, la montagne magique
Classé par l’Unesco comme réserve de biosphère, le mont Ventoux fascine tous ceux qui l’approchent. « Les forçats de la route » ne sont pas pour rien dans l’entretien de sa légende.
Pour ceux qui l’ignoreraient, la terminaison en « ou » accolée au qualificatif qui le précède sonne affectueusement aux oreilles des gens du Midi ; ainsi, le « petitou », c’est le petit avec quelque chose en plus du côté du cœur. Le Ventoux ? Le mistral peut bien souffler en rafales à 250 km/h par -10 °, c’est égal, ceux qui vivent à ses pieds se sentent orphelins dès qu’ils ne l’ont plus en ligne de mire. Tel Janus, le mont Ventoux présente ses deux visages, tantôt débonnaire et rassurant, côté sud, tantôt sombre et abrupt, côté nord.
Mythique, le Ventoux l’est à plus d’un titre, mais c’est au cyclisme qu’il doit sa notoriété au-delà des frontières de l’Hexagone. Ce « Dieu du Mal auquel il faut sacrifier, véritable Moloch, despote des cyclistes [qui] ne pardonne jamais aux faibles, [qui] se fait payer un tribut injuste de souffrances » interpelle même Roland Barthes qui lui consacre un chapitre de ses Mythologies.
Le célèbre chroniqueur Antoine Blondin ne s’interrogeait-il pas sur l’absurdité d’une entreprise consistant à se livrer à une escalade si périlleuse « qu’au fil de l’ascension, l’effectif se décantait, les hommes tombaient, la langue pendante, vendaient leur âme pour un peu d’eau, pour un peu d’ombre » ?
Dans un tout autre domaine, le célèbre entomologiste Jean-Henri Fabre y grimpa une soixantaine de fois, carnet de notes en main et baromètre en bandoulière. C’est que le mont pelé de la Provence a la particularité de rassembler une extraordinaire panoplie d’espèces végétales. Touffes balsamiques de thym, fleurs écarlates du grenadier récoltées en bas, tandis qu’au sommet on découvrira le pavot velu qui, habituellement, « déploie sa large corolle jaune dans les solitudes glacées du Groenland et du cap Nord ». Mais gare aux pièges et aux humeurs de la montagne ! Chaque année, des randonneurs se perdent dans le Ventoux. Fabre lui-même relate comment, en quelques minutes, un convoi de nuages enveloppe les randonneurs d’une épaisse brume pluvieuse, les privant de tout repère. Comment reconnaître le flanc nord et sa grandiose sauvagerie, tantôt coupé à pic, tantôt disposé en gradins d’une effrayante déclivité, immense précipice d’un kilomètre et demi de hauteur, du flanc sud aux pentes relativement douces ?
Ceux qui n’ont pas la fibre grimpeuse s’attarderont sur les beaux villages auréolés de lumière qui bordent, côté sud, la montagne en pente douce.
Dans le joli recueil qu’il leur consacre, Bernard Mondon évoque les Dentelles de Montmirail, ces « barres rocheuses blanches comme l’os, finement ciselées et redressées à la verticale comme un décor de théâtre », filles du Ventoux qui abritent trois petits villages : Lafare, « désaltéré par sa cascade Saint-Christophe », La Roque Alric, minuscule et pittoresque avec ses maisons accrochées à son piton rocheux, Suzette, profitant à la fois de belles échappées sur les Dentelles et sur « le Roi dénudé du Sud ».
On pourra aussi faire une halte à Séguret, qui a su conserver son caractère médiéval. Passé la porte Reynier (xiie siècle), on empruntera les ruelles pavées jusqu’à l’église Saint‑Denis, d’où l’on peut embrasser du regard un océan de vignes.
C’est à Séguret que se trouve une des meilleures tables de la région, l’occasion de songer à ces nourritures terrestres qui, ici plus qu’ailleurs, épousent intensément leur terroir : olives vertes ruisselantes de saumure, huile d’olive, saucisson d’Arles, sans oublier le muscat de Beaumes‑de‑Venise, autre village qui forme, avec Lafare, La Roque‑Alric et Suzette, les « trois mousquetaires » de l’appellation. « Lou bon muscat de Baumo » chanté par le poète Frédéric Mistral était déjà fort apprécié du pape Clément VI qui régnait en Avignon en 1348. Le vin doux a ainsi contribué à la notoriété du village. Élaboré à partir du cépage muscat à petits grains, il ne constitue qu’une partie de la production, les vignes de Beaumes faisant partie de la grande famille des côtes-du-rhône. Modèle d’aménagement pour la viticulture, la technique mise au point par les vignerons de Beaumes a permis de redonner vie aux cultures en terrasse, une reconquête du paysage récompensée par un label spécial décerné par le ministère de l’Environnement. Le photographe Steffen Lipp, venu d’outre-Rhin pour visiter le mont Ventoux, n’en est jamais reparti. Il le célèbre ad libitum, le saisit dans sa lumière du matin, dans le crépuscule. Le Ventoux, on l’aura compris, ne se livre pas d’emblée. Sur les traces de Pétrarque, qui fut l’un des premiers à le gravir jusqu’au sommet en 1336, on se souviendra que « la vie que nous appelons heureuse occupe les hauteurs et, comme dit le proverbe, étroite est la route qui y mène ».
Denise Cabelli et Françoise Janin
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