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La Mutuelle des artistes et professionnels du spectacle* pendant la Commune

À l’occasion du 150e anniversaire de la Commune de Paris, rappelons l’histoire du fondateur de cette mutuelle, l’un des créateurs de la Fédération artistique en avril 1871 : Jules Pacra.

Né dans une famille modeste le 26 mars 1833 à Paris, Jules Pacra est d’abord courtier au journal Le National. Il passe ses soirées au théâtre, se passionne pour le maquillage et le grimage. Son premier rôle aurait été celui d’un portier de 70 ans (il en avait 17) dans Le Docteur Chiendent, au théâtre Montmartre. Il signe un contrat au café-concert Eldorado en septembre 1867.

18 mars 1871 : la Commune est proclamée par la Garde nationale, la plupart des théâtres sont fermés, tous les concerts annulés. Avec son camarade Jules Perrin, il rejoint Eugène Pottier et Jean Baptiste Clément. Il est l’un des fondateurs de la Fédération artistique, réservée aux auteurs, compositeurs, artistes dramatiques et lyriques. Le 18 avril, lors d’une réunion présidée par Jules Pacra à l’Alcazar qui étudie les statuts, elle adresse à la Commune « une demande pour obtenir des salles de spectacles non occupées et appartenant à la Ville de Paris pour y organiser les représentations au bénéfice des veuves, blessés, orphelins et nécessiteux de la Garde nationale ». En avril, plus de 600 artistes ont adhéré, et la Commune « autorise la Fédération artistique à disposer gratuitement des salles de théâtre disponibles dans les immeubles lui appartenant ».

Rendre les théâtres aux artistes

Parallèlement, la Fédération nomme une commission d’élaboration du statut des artistes. Il s’agit non seulement d’élaborer un statut social des artistes, mais d’arriver à une collectivisation des théâtres. Jules Pacra joue un rôle actif dans cette dynamique d’ouverture des lieux. Il est l’un des organisateurs de la grandiose manifestation du 21 mai, dans les jardins des Tuileries, avec une quarantaine d’orchestres et de fanfares de la Garde nationale. Mais ce que nous devons retenir, nous le trouvons dans le Journal officiel de la Commune du 19 mai, l’avant-veille de l’entrée des Versaillais dans Paris. La Commune a pris le temps de rendre les théâtres aux artistes : les procès-verbaux de ce 19 mai portent trace d’un débat de deux heures sur l’organisation des théâtres parisiens. Édouard Vaillant, délégué à l’Enseignement, voudrait que les théâtres relèvent désormais de sa délégation :« De même que la Révolution de 89, dit-il, a donné la terre au paysan, notre révolution du 18 mars doit assurer l’instrument de travail et de production à l’ouvrier. Les théâtres doivent appartenir à des fédérations d’artistes. »Au cours des débats, il précise sa pensée :« Nous devons chercher à créer partout des établissements socialistes. Le caractère particulier de la révolution du xixe siècle porte que, où le produit existe, le producteur sera indemnisé totalement. Dans les arts, l’exploitation est plus terrible peut-être que dans les ateliers, et tout le personnel de théâtre est exploité depuis le haut jusqu’en bas.[…]Il faut changer le régime propriétaire […] en un système d’association par l’exploitation entière des artistes. » Le décret, adopté sans amendement, fut publié le surlendemain, alors que les Versaillais entraient dans Paris. Jules Pacra et sa famille quittent Paris cette semaine-là. Il reprendra, d’abord en province puis enfin à Paris, le répertoire qui a fait de lui l’un des chanteurs de café-concert les plus célèbres du xixe siècle. Dix ans plus tard, le 21 mars 1881, s’inspirant d’un projet de Jules Perrin de 1865, sera fondée avec quelques autres chanteurs, dont Aristide Bruant, l’Association de secours mutuel des artistes lyriques, future Mutuelle des artistes et professionnels du spectacle.

Jean-Jacques Hocquart

* Devenue la Mutuelle des professionnels de la presse, du spectacle et de la communication lors de sa fusion en 2011, pour s’appeler désormais uMEn, une mutuelle engagée.