La « grande Sécu » pour faire quoi ?

Chargé par le ministre de la Santé de plancher sur plusieurs scénarios d’organisation nouvelle de la branche maladie, le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) a présenté récemment un avant-projet de rapport qui suscite déjà la controverse. Le scénario privilégié par le gouvernement sous le vocable « grande Sécu » se propose de fusionner les régimes de base et complémentaire. A priori, comment ne pas se réjouir de l’idée d’ouvrir un débat sur une sécurité sociale universelle, solidaire et démocratique ? Mais s’agit-il là de la volonté du gouvernement ? Apparemment non ! Puisque les réflexions n’intègrent pas les autres branches de la Sécurité sociale (famille, accidents du travail et maladies professionnelles, retraite). La vraie « grande Sécu » devra encore attendre ! Pour nourrir la réflexion, il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui l’Assurance maladie prend en charge 79,8 % des dépenses de santé, les complémentaires 12,3 %, le reste à charge pour les ménages se situant à 6,5 %, taux le plus bas de l’Union européenne (chiffres 2020 de la Drees). Rappelons que l’Assurance maladie n’a cessé de se désengager au fil des ans, que les réformes successives depuis 1996 ont conduit à des transformations radicales de notre système de santé, son étatisation se traduisant par l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam), qui fixe arbitrairement le budget, sans rapport avec les ­besoins de santé de la population, et la convention d’objectif et de gestion (COG) conclu entre l’État et les caisses. Rappelons la transformation de la gouvernance du système, qui laisse aujourd’hui à l’État tout pouvoir de décision sur sa gestion et les moyens alloués à la protection sociale. Nous sommes très loin du système démocratique de 1945, qui laissait après élection 75 % des sièges aux assurés et 25 % aux employeurs. Qui dit « grande Sécu », dit aussi réforme de son financement, le HCAAM évalue le coût supplémentaire à 22 milliards d’euros pour l’État, donc pour le contribuable. Si la suppression des cotisations salariales et le basculement vers un financement par l’impôt (CSG, CRDS) peuvent rendre la manœuvre plus facile, quid des cotisations payées par les entreprises sur les contrats collectifs ? Contrats devenus la norme depuis l’accord ANI de juin 2013. Le risque d’un transfert du financement des entreprises vers les ménages serait alors bien réel. Alors oui, rediscutons de la grande Sécu. Pourquoi pas un débat national avec ­l’ensemble des acteurs de la protection sociale qui reprendrait l’exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945 : « La Sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de ­l’incertitude du lendemain […] »
Au nom du Conseil d’administration, je souhaite aux adhérentes et adhérents la meilleure année possible.

Laurent Joseph, président d’uMEn