Anne Sylvestre (20 juin 1934 – 30 novembre 2020)
« Écrire pour ne pas mourir »
S’il est une chanteuse en France à avoir chanté les femmes, leurs vies, leurs difficultés, leurs doutes et leurs espoirs, c’est bien Anne Sylvestre. Une des premières aussi à avoir chanté ses propres textes sur ses propres musiques.
Anne Sylvestre a toujours creusé le sillon d’un féminisme nécessaire, elle a dénoncé tout au long de son parcours, avec humour, causticité et tendresse, le tableau ordinaire des atteintes faites aux femmes et plus généralement à ceux qui, le plus souvent, payent avec ce qui leur manque.
Intéressée aux faits de société, portant un regard acéré sur le monde, à la fois tendre et drôle, ses chansons sont des tranches de vie, un éloge de la fragilité et de la complexité des rapports humains, une expression qui annonce certaines évolutions des mœurs, mais aussi un amour de la nature, au point d’avoir devancé des prises de conscience, particulièrement sur l’écologie.
Jamais tout en haut de l’affiche, mais toujours bien présente dans le paysage musical français depuis la fin des années cinquante, Anne Sylvestre incarnait une chanson à textes, intelligente, faisant fi des modes, dans le sillage d’un Brassens ou d’un Guy Béart.
Elle fut également l’auteure de délicieuses « fabulettes » pour enfants qui lui vaut le privilège d’avoir laissé son nom à plusieurs écoles.
Victime d’un AVC foudroyant, elle s’est éteinte le 30 novembre 2020.
« On cherchera le pont quand on sera à la rivière », disait-elle.
Bernard Montini
Les gens qui doutent
J’aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer
J’aime les gens qui disent et qui se contredisent et sans se dénoncer
J’aime les gens qui tremblent, que parfois ils ne semblent capables de juger
J’aime les gens qui passent moitié dans leurs godasses et moitié à côté
J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons
J’aime ceux qui paniquent, ceux qui sont pas logiques, enfin, « pas comme il faut »
Ceux qui avec leurs chaînes pour pas que ça nous gêne font un bruit de grelot
Ceux qui n’auront pas honte de n’être au bout du compte que des ratés du cœur
Pour n’avoir pas su dire « délivrez-nous du pire et gardez le meilleur »
J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons
J’aime les gens qui n’osent s’approprier les choses, encore moins les gens
Ceux  qui veulent bien n’être, qu’une simple fenêtre pour les yeux des enfants
Ceux qui sans oriflamme et daltoniens de l’âme ignorent les couleurs
Ceux qui sont assez poires pour que jamais l’histoire leur rende les honneurs
J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons
J’aime les gens qui doutent mais voudraient qu’on leur foute la paix de temps en temps
Et qu’on ne les malmène jamais quand ils promènent leur automne au printemps
Qu’on leur dise que l’âme fait de plus belles flammes que tous ces tristes culs
Et qu’on les remercie qu’on leur dise, on leur crie « merci d’avoir vécu ! »
Merci pour la tendresse
Et tant pis pour les fesses
Qui ont fait ce qu’elles ont pu
														  
			