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Aimé Césaire

Aimé Césaire est l’une des grandes voix de la littérature, de la poésie et de la politique de l’espace caribéen. Il voit le jour le 26 juin 1913 à Basse-Pointe, au nord de la Martinique. « Je suis né dans une maison minuscule qui abrite en ses entrailles de bois pourri, des dizaines de rats. » Il est le petit-fils du premier instituteur noir en Martinique. Particulièrement brillant à l’école, il obtient une bourse et part poursuivre ses études à Paris, où il est reçu à l’École normale supérieure. Il se lie d’amitié avec le futur poète et président sénégalais Léopold Sédar Senghor. Ensemble, ils fondent une revue, L’Étudiant noir, afin de dénoncer l’idéologie colonialiste et promouvoir l’Afrique et sa culture. C’est dans ces pages qu’apparaît pour la première fois le terme de négritude. En 1939, revenu à Fort-de-France pour y enseigner la littérature, il croise l’écrivain surréaliste André Breton et lui fait lire son Cahier d’un retour au pays natal. Breton est bouleversé. Dès lors, Césaire est lancé, et il écrit sans relâche. Dans ses poèmes révoltés comme « Soleil cou coupé », il exalte l’homme noir. En 1950, il publie son Discours sur le colonialisme dans lequel il fait le procès d’une Europe indéfendable pour avoir colonisé le monde au nom de la civilisation. Ses pièces de théâtre sont autant de pamphlets contre l’esclavage et la colonisation. Dans La Tragédie du roi Christophe, qui relate l’épopée de Haïti, rare pays à s’être libéré de l’esclavage, il s’interroge sur la nature du pouvoir, avec en toile de fond l’idée phare de toute son œuvre : la négritude. Césaire veut restituer la mémoire de son peuple, lui rendre sa dignité. Sa vision est celle d’un humaniste qui défend tous les damnés de la terre. « Je suis de la race de ceux qu’on opprime »,dit-il. De son credo poétique, il va tirer un engagement politique. Devenu communiste, il est élu député de Martinique. En 1946, il obtient que la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, et La Réunion deviennent des départements d’outre-mer. Plus tard, en désaccord douloureux avec le Parti communiste, il rompra avec celui-ci pour fonder le PPM, le Parti progressiste martiniquais. Réélu député de Martinique pendant près d’un demi-siècle, il condamnera sans relâche le colonialisme et le racisme et ne cessera d’exalter, tout au long de son œuvre littéraire et militante, un monde où l’homme, enfin dégagé de toutes les oppressions et de toutes les humiliations, pourrait bâtir avec son semblable un monde où le mot fraternité aurait enfin tout son sens. Il continuera de défendre jusqu’à sa mort, en 2008, la langue française, la poésie, la négritude dans la grande tradition des Lumières.

Bernard Montini

« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. »

Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n’est pas en nous, mais au-dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit et l’audience comme la pénétrance d’une guêpe apocalyptique. Et la voix prononce que l’Europe nous a pendant des siècles gavés de mensonges et gonflés de pestilences. Car il n’est point vrai que l’œuvre de l’homme est finie, que nous n’avons rien à faire au monde, que nous parasitons le monde qu’il suffit que nous nous mettions au pas du monde mais l’œuvre de l’homme vient seulement de commencer et il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’a fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite.

Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal