Avantages sociaux et CNR, l’héritage menacé
En pleine Seconde Guerre mondiale, le Comité national de la résistance a élaboré un programme social dont sont nées des réformes qui ont marqué la France pendant des années. Mais, aujourd’hui, cet héritage est battu en brèche par les gouvernements successifs. En particulier dans le domaine des acquis sociaux.
Le Conseil national de la résistance (CNR), dont la composition reflète les différentes composantes de la résistance et de la société française, s’est réuni pour la première fois le 27 mai 1943 à Paris. À côté de la poursuite de la guerre, et de la libération du territoire français, naturellement prioritaires, il se donne pour but l’élaboration d’un programme qui rassemble les diverses composantes du mouvement, expressions des forces du pays. Constitué de mesures à plus long terme touchant à l’organisation sociale, économique et politique de la France et intitulé Les Jours Heureux, ce programme est adopté le 15 mars 1944. Il exprime la volonté de refondation des institutions qui prévaut chez ceux qui dépassent leurs différences pour réfléchir ensemble à l’avenir.
Cette refondation et le retour de l’État impliquent d’abord des dispositions politiques telles que le rétablissement de la République, des libertés publiques, du suffrage universel et de la liberté de la presse. Mais aussi de profonds changements économiques et sociaux, qui sont l’objet des réformes menées par le Gouvernement provisoire de la République Française à la Libération. Il s’agit des nationalisations ou encore de la création de la Sécurité sociale…
Par rapport à d’autres programmes de gouvernement, une des spécificités du programme du CNR est d’avoir été adopté par tout l’éventail politique représenté au sein de la Résistance française.
Les mesures économiques, inspirées du planisme (ou volonté de recours à un plan pour mener l’action publique), prévoient « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », ce qu’on appellera généralement les nationalisations, et qui est exprimé dans le texte comme « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques ».
À cela s’ajoutent des mesures sociales, comportant un important ajustement des salaires, le rétablissement d’un syndicalisme indépendant et de délégués d’atelier, ainsi qu’un « plan complet de Sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».
Détricotage tous azimuts
Un modèle social remis en cause, notamment avec le souffle libéral des années 1980, même si droite et gauche affirment vouloir le préserver. Un mouvement de privatisations est lancé par Édouard Balladur, le ministre des Finances de François Mitterrand. L’État français se sépare peu à peu des banques et des compagnies d’assurance publiques.
Au fil des années, le programme du CNR est de moins en moins d’actualité. On invente les déremboursements de médicaments pour service médical rendu insuffisant (ça fait des économies), la tarification à l’acte à l’hôpital, on lance des réformes des retraites qui se révèlent « insuffisantes », on n’agit guère contre la concentration de la presse…
L’Humanité a récemment recensé les différentes façons qu’ont le président Macron et son gouvernement de « piétiner l’héritage de la Résistance ». Aussi bien en ce qui concerne « le droit à la retraite, le modèle démocratique et social, la répartition des richesses, les intérêts de la Nation ».
Où en est-on de la promotion d’une démocratie économique et sociale ? On gouverne contre les citoyens, en faisant passer en force une réforme des retraites rejetée par 74 % des Français, et même 90 % des actifs. Liberté d’association, de réunion et de manifestation ? On réprime violemment les manifestations, quand on ne les interdit pas. La liberté de la presse, « son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères » ? Inaction (au minimum) face à la concentration capitalistique et la toute-puissance des milliardaires dans ce secteur pourtant essentiel.
Alain Noël
Le Conseil national de la résistance ou CNR
Opérationnel à partir de 1943, le Conseil national de la résistance est la structure qui dirige et coordonne les différents mouvements de la Résistance intérieure française pendant la Seconde Guerre mondiale, toutes tendances politiques comprises, à partir de la mi-1943.
Il est composé de représentants desdits mouvements, qui sont au nombre de huit, de syndicats et de partis politiques hostiles au gouvernement de Vichy. Il est mis en place par l’envoyé du général de Gaulle, Jean Moulin, ancien Préfet. Après l’arrestation de celui-ci, le CNR poursuit ses activités, sous la présidence de Georges Bidault, avec pour secrétaire général Émile Bollaert.
Son programme, adopté en mars 1944, prévoit un « plan d’action immédiat » (c’est-à-dire des actions de résistance) pour la libération du territoire national, mais aussi des « mesures à appliquer dès la libération du territoire », une liste de réformes sociales et économiques. Il sera en partie appliqué, puis peu à peu délaissé.
Quelques points parmi tant d’autres : dès 1944, organisation de la presse, avec une interdiction des concentrations ; institution des Houillères du Nord-Pas-de-Calais ; contrôle de l’État sur la marine marchande. En 1945, nationalisation des Usines Renault (pour collaboration avec l’ennemi) ; institution des comités d’entreprise ; transfert à l’État des actions de la compagnie Air France… En octobre 1945, promulgation par le gouvernement du Général de Gaulle des ordonnances de base de la Sécurité sociale, qui fusionnent toutes les anciennes assurances (maladie, retraite). Elles posent le principe d’une « gestion des institutions de Sécurité sociale par les intéressés ».