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Jean Genet

Un poète par-delà le bien et le mal. « Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure »

Genet est cette cicatrice lumineuse qui irradie le mal d’une troublante beauté, il est cette errance rimbaldienne où « Je est un autre ». Digne héritier de Villon, de Baudelaire, de Verlaine, il deviendra l’un des plus grands poètes dramaturges de son temps.

Il est né le 19 décembre 1910 à Paris et abandonné par sa mère à l’Assistance publique. Sa vie ? Une vie faite de vagabondages, de prostitutions homosexuelles, de vols, de prisons, avant que de 1942 à 1948 il écrive et publie poèmes et romans grâce à Jean Cocteau puis à Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Picasso, qui témoigneront en sa faveur afin de lui éviter un emprisonnement à perpétuité. Ce sont des poèmes fulgurants ainsi que des romans d’une originalité violente qui le rendront aussitôt célèbre ; puis viendront une série bouleversante de pièces de théâtre, jouées dans le monde entier.

Son univers est peuplé de criminels beaux, violents, déloyaux, de maquereaux comblés, poltrons, pas très intelligents, de travestis aussi crâneurs qu’hystériques. Chez Genet chaque personnage est un site, un lieu saint visité et revisité. Genet est un marginal et un hors-la-loi qui est misérablement pauvre, un exclu qui a percé un jour l’arbitraire des conventions sociales et de la morale en vigueur. Il efface les frontières entre l’innocence et la culpabilité. Genet écrivant dans la langue dominante, il se devait d’être reconnu par celle-ci.

Ses sympathies allaient aux affamés, aux nus, aux vaincus. « Mon courage consiste à détruire toutes les habituelles raisons de vivre et à m’en découvrir d’autres. J’étais un bâtard, je n’avais pas droit à l’ordre social. Qu’est ce qui me restait ? Si je voulais un destin exceptionnel, il me restait à désirer être un saint. C’est-à-dire une négation d’homme. »

Au milieu de sa vie, il aura cette prodigieuse intuition : être un homme fait de tous les hommes qui les vaut tous et que vaut n’importe qui.

Sa rencontre avec Giacometti fut pour lui essentielle. Devant ses sculptures, Genet se sentit comme face au divin qui lui communiqua la conscience de la solitude de chaque être et de chaque chose, et que cette solitude est notre gloire la plus sûre.

Vers la fin de sa vie Genet s’associa beaucoup aux luttes des noirs aux États-Unis ainsi qu’aux Palestiniens en Afrique.

Genet décéda le 14 avril 1986. Il repose au cimetière de Larache au Maroc qui donne sur la vieille prison espagnole et sur un bordel. Genet repose ainsi au cœur de son imaginaire. « Je suis né vagabond, ma vraie patrie c’est n’importe quelle gare, j’ai une valise, du linge et quatre photos ».

Bernard Montini

Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.
Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.
Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,
Et les fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.
Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.
Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.
Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l’escalier, plus souple qu’un berger,
Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.
Ô traverse les murs ; s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.

Jean Genet
Extrait du Condamné à mort (1942)