Caroline Semaille « Je souhaite ouvrir Santé publique France à plus d’innovations »
Médecin en santé publique et infectiologue, Caroline Semaille exerce depuis plus de 20 ans au sein des agences sanitaires françaises.
Spécialiste des maladies infectieuses, le docteur Caroline Semaille poursuit son engagement pour l’intérêt général en prenant la tête de Santé publique France. Dans cet entretien, la nouvelle directrice générale déclare vouloir donner à l’établissement un « nouvel élan », au service de la santé pour tous.
Quelles impulsions souhaitez-vous donner à Santé publique France ?
À la sortie d’une période intense marquée par la crise de Covid-19, je souhaite donner à Santé publique France un nouvel élan et l’ouvrir à plus d’innovations, plus de partenariats. Bien sûr, nous poursuivrons nos travaux basés sur des dispositifs de surveillance, des enquêtes ou, dans le domaine de la prévention, sur des actions probantes clairement évaluées. Mais il ne faut pas s’interdire de réfléchir autrement, en utilisant d’autres méthodologies, d’autres sources – via les réseaux sociaux ou le big data par exemple –, ou en s’inspirant de ce qui se fait dans d’autres domaines. Je suis pleinement à l’écoute de la jeune génération pour faire en sorte que Santé publique France soit au rendez-vous des révolutions technologiques.
Cela passera aussi par le développement de nouvelles collaborations, tout en poursuivant le dialogue avec la société civile, le secteur du médical et les acteurs de la prévention. Les politiques publiques s’appuient sur nos travaux, mais nous aspirons à mieux les faire connaître auprès du grand public et des professionnels.
Enfin, nous serons très présents sur les enjeux environnementaux. Le 1er juin, ont d’ailleurs été lancés nos dispositifs estivaux de prévention et surveillance pour alerter sur les risques liés à la canicule.
Quels seront les premiers chantiers mis en place ?
La lutte contre l’obésité et la sédentarité est l’une de nos priorités, et aux côtés des autres institutions, nous attachons une importance particulière à promouvoir l’activité physique et la nutrition. Le Nutri-Score, label made in Santé publique France, fait preuve d’une notoriété grandissante et nous continuerons à le promouvoir. Car même si en métropole, l’obésité est en deçà de la moyenne européenne, sa prévalence est plus élevée en outre-mer.
Enfin, avec l’épidémie de Covid-19, les mesures barrières ont bien été intégrées par la population générale. Pendant la vague de bronchiolite de l’hiver dernier, elles étaient essentielles pour protéger les plus vulnérables et les plus jeunes. Mais nous ne voudrions pas que cela se relâche et souhaitons consolider ces acquis.
Infectiologue de formation, vous êtes particulièrement engagée dans la lutte contre le VIH. Une étude du Sidaction montre que certaines idées reçues perdurent chez les jeunes. Comment rendre la prévention plus efficace ?
Il existe une ligne de crête entre la sensibilisation de la jeunesse au VIH, jeunesse d’aujourd’hui qui n’a pas connu « les années sida », et le fait de rappeler que l’on peut vivre avec le virus, un point essentiel dans la lutte contre les discriminations à l’encontre des personnes séropositives.
En 1993, pour l’opération 3 000 scénarios contre un virus,le Centre régional d’information et de prévention du sida et pour la santé des jeunes (Crips) avait demandé à des lycéens d’écrire des scénarios sur le sida. Outre la modernité des 30 films réalisés et la diversité des problématiques traitées, ces travaux sont un outil formidable pour mieux comprendre la perception du sida et les comportements. Il serait intéressant de renouveler cette initiative pour voir le chemin parcouru et de partager ces films avec les nouvelles générations.
Ancien membre du Haut Conseil de santé publique, vous avez également exercé à la direction de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). En quoi ces expériences vous sont-elles utiles aujourd’hui ?
Ces expériences ont été enrichissantes et m’aident à appréhender mes nouvelles missions. Je vais prendre un exemple très concret : on ne le sait pas toujours, mais au sein de Santé publique France, l’Établissement pharmaceutique gère les stocks stratégiques de médicaments et produits de santé pour le compte de l’État. C’est notamment à lui que l’on doit la distribution des millions de vaccins contre
le Covid-19 sur tout le territoire en métropole et en outre-mer. Mon passage à l’ANSM me permet de mieux en percevoir les enjeux. J’ai également dû gérer de nombreuses situations de crise, par exemple avec la pénurie de médicaments l’hiver dernier lors de la triple épidémie (grippe, covid, bronchiolite). Un poste à la direction générale nous amène à être en contact avec des ministères mais aussi d’autres acteurs issus de domaines très divers : les associations de patients ou d’aide aux victimes de médicaments, des professionnels de santé mais aussi des agriculteurs et des écologistes, puisqu’il revient à l’Anses d’encadrer les pesticides. Cela m’a ouvert à d’autres enjeux, notamment liés à l’environnement, et cela me confirme qu’il est essentiel que ces agences travaillent ensemble.
En 2024, le monde du sport vibrera au rythme des Jeux olympiques qui se dérouleront en France. Quel sera le rôle de Santé publique France ?
Nous participerons bien sûr à l’événement. Les JO, et avant cela la Coupe du monde de rugby, seront l’occasion pour nous de proposer des campagnes de prévention portant sur l’activité physique, les risques liés à l’alcool et à la chaleur.
Mais nous avons aussi un devoir de surveiller et d’anticiper les menaces. Le brassage de population venant des quatre coins du monde et la densité du public attendu pour les JO nous conduisent à renforcer nos systèmes de surveillance sur les maladies infectieuses notamment, pour que nous soyons capables de mesurer certaines pathologies infectieuses et d’alerter aux moindres signaux. Comme chaque année, puisque les JO se dérouleront l’été, nous observerons l’évolution des vagues de chaleur afin d’être en mesure de prévenir les risques sanitaires.
Quelle place la santé mentale occupe-t-elle à Santé publique France ?
La crise de Covid-19 a mis en lumière ce qu’on peut appeler une « épidémie silencieuse ». Grâce à notre baromètre auprès de la population générale, de notre enquête auprès des plus jeunes, et les chiffres de mortalité par suicide ou de tentative de suicide que nous recueillons auprès des urgences hospitalières et SOS médecin, nous surveillons de près la dégradation de la santé mentale. Nous serons au rendez-vous sur ce sujet qui est une priorité pour moi.
La santé au travail est également un sujet d’actualité. Comment accompagnez-vous les entreprises ?
Sur le même modèle que la plateforme Tabac-info-service.fr, nous avons créé Employeurspourlasante.fr, un dispositif qui accompagne les entreprises dans une démarche de prévention et de promotion de la santé de leurs collaborateurs.
À l’instar de la plateforme 1000-premiers-jours.fr lancée il y a deux ans et qui vient de passer la barre des 5 millions de visites depuis sa création, nous constatons que ces outils fonctionnent. Nous poursuivrons leur développement et leur enrichissement.
Enfin, quel autre métier auriez-vous pu exercer ?
Aucun. J’ai toujours voulu être médecin, et je me sens pleinement épanouie dans ce que je fais, que ce soit durant mes quinze années de clinique et de recherches, ou aujourd’hui, à Santé publique France. J’ai toujours adoré la santé individuelle et le contact avec le patient, mais je trouve que l’engagement dans la santé publique est un levier incroyable pour agir au niveau collectif pour l’intérêt général.
© C i E M / Propos recueillis par Constance Périn