François Villon (1431-1463 ?)
« En mon pays suis en terre lointaine… Je riz en pleurs et attends sans espoir »
Une comète qui traversa la fin du Moyen Âge, parcourant son époque tel un rasoir ouvert, annonçant à travers ses lais, rondeaux et ballades de la jeunesse perdue, des temps où la misère et la fuite sont une quête d’une improbable rédemption.
Son œuvre annonce les thèmes et les sensibilités de la Renaissance. Il s’oppose au mysticisme et à la primauté de la collectivité présente en son temps, préférant un lyrisme individuel, une émotion personnelle et ce, même s’il exprime les angoisses de l’époque médiévale. Il est, avec Baudelaire, le poète qui aborda le mieux le thème de l’intranquillité du vivre.
Écolier de l’université, maître de la faculté des arts dès 21 ans. À 24 ans, il tue un prêtre dans une rixe. Condamné à mort, amnistié, il s’exile à nouveau, fuites, cambriolages, il est inconsolable dans ses dérades. Alors commence pour lui une vie d’expédients, où la misère, les procès, les fuites, les incarcérations, les condamnations deviendront des viatiques permanents.
Il a brûlé sa vie au fond des tavernes, au milieu des gueux, des bandits et des prostitués, pour extraire de lui un hypothétique salut.
Pour ce poète en fuite perpétuelle avec son destin, son œuvre d’une singulière ambiguïté recourt à un mélange de réflexions sur le temps, de dérisions amères, d’invectives et de ferveurs religieuses. Ce mélange de tons contribue à rendre l’œuvre de Villon d’une sincérité pathétique, qui la singularise par sa bouleversante conscience de l’éphémère.
Il est cet homme traversé par les chaos d’une époque en devenir qui rompt avec les sensibilités obsolètes d’un Moyen Âge, pour nous faire accéder aux angoisses modernes de la Renaissance, celle de l’apparition de la conscience de la finitude de l’homme dans le processus de sa vie : « memento mori » (souviens-toi de la mort). On perdra sa trace vers 1463 après un dernier procès.
Il deviendra l’icône d’un homme : « un poignard dans la main, un pied dans la boue, et un regard sur les étoiles »…
Bernard Montini
Frères Humains (nommé ultérieurement Ballade des pendus)
Frères humains qui après nous vivez
N’ayez vos cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous merci.
Vous nous voyez attachés, ici cinq, six :
Quant à notre chair, que trop avons nourrie,
Elle est depuis longtemps dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre malheur, personne ne s’en rit ;
Mais priez dieu que tous nous veuille absoudre !
Si frères nous vous clamons n’en devez-vous
Avoir du mépris quoi que nous fûmes occis
Par justice. Toutefois vous savez
Que tous les hommes n’ont pas le sens bien rassis ;
Excusez-nous, puisque nous sommes transis,
Auprès du fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pas pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, qu’âme ne nous charrie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a lessivés et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis ;
Pies et corbeaux nous ont les yeux crevés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis ;
De-ci de-là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus qui sur tous a maitrise,
Gardez qu’Enfer n’ait sur nous seigneurie :
Avec lui n’avons à faire, ni à solder.
Hommes, ici pas de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
François Villon